Quelque part dans Macaron (mars 2019)




Dans le même temps, Macaron avait repris, après bien des années silencieuses et sans aucune nouvelle d’elle, une petite correspondance avec Inès.  Il lui avait écrit, à nouveau, et elle avait répondu.  C’était un printemps.  Macaron mettait le temps pour, lentement, doucement, trèèès tranquillement, sans effrayer la belle, relancer le processus de débat entre elle et lui, un débat sur toutes les composantes de la vie et de la culture humaines, un débat dont l’éther était un amour parfait.  Ce qu’il ignorait, c’est qu’Inès avait parfaitement lu son jeu et en jouait à son tour, en le brutalisant parfois, en le faisant languir souvent, et en l’éconduisant dès qu’elle estimait qu’une ligne rouge était franchie (c'est-à-dire dès qu’il commençait à lui parler de son amour pour elle, passé ou présent).

« Ce n’est pas le bon mot, parce qu’en réalité je songe à un mot anglais – sharpen – mais je crois que les hommes tranchent davantage avec l’âge, en général, c’est ce qui donne leur maturité : ils deviennent hommes quand ils se sont pleinement assumés.  Les hésitations, les tergiversations disparaissent.  Ils se sont aiguisés, polis, patiemment.  Comme des lames brutes longtemps passées à la meule et au feutre.  Et s’assumant, ils assument leur archétype.  Un trait de caractère devient dominant.  Chez les uns, ce sera la sociabilité, chez les autres, la distraction, ou alors ce sera un tempérament taiseux, chez d’autres encore, l’affirmation de soi…  C’est là que l’écrivain a toute sa place.  Les personnages de romans sont ainsi construits. Or vous, vous êtes pleinement dans la vie un homme autant qu’un personnage de roman, et pourtant, ce qui vous caractérise, c’est votre absence de réalité marquée.  C’est extrêmement déroutant pour qui vous côtoie parce que, du coup, vous n’êtes pas fiable bien que vous vous en défendiez sans arrêt.  Vous êtes tour à tour le prof sévère, le musicien perché, l’amant trop timide, l’écrivain bien trempé, le père rassurant, le scientifique passionné, l’enfant capricieux…  Vous donnez le tournis.  Vous m’avez donné le tournis.  Mais c’est un tournis qui fait tituber, ne vous en déplaise.  Et j’ai passé l’âge des jeux trop grisants. »

« Ma chère Inés – lui répondait-il – je reconnais bien là votre façon d’écrire : pure et sans attache.  Comme tout être humain, vous prêtez à d’autres les traits qui caractérisent votre propre âme.  C’est elle qui est tranchée !  Je pense au contraire que les humains sont plein de nuances et qu’ils recèlent en eux tous les archétypes.  Montrer – et surtout cacher - l’un ou l’autre visage est ensuite affaire de choix.  J’ai décidé quant à moi de n’en cacher aucun, mais de ne jamais les montrer en même temps, sauf aux personnes que j’aime… Et je vous annonce, quoi que vous en pensiez, que vous en faites encore partie.  Je sais que, m’exprimant de la sorte, je m’expose à nouveau à quelques longs mois de silence, mais c’est une réalité que je ne puis taire : elle me définit aussi.  Vous êtes l’un de mes archétypes, pour toujours.  Vous avez su poser votre marque sur mon épaule comme le faisaient les maîtres chevaliers de Moyen-Âge lors de la cérémonie de l’adoubement, et rien ne peut plus l’effacer.  Surtout sachant que notre amour a toujours balancé du côté de la tradition courtoise.
J’attire cependant votre attention : vous parlez d’hommes aiguisés à la meule et au feutre.  J’ai bien peur que « moule » et « foutre » ne soient guère éloignés : je n’ai pas passé l’âge, quant à moi, et bien que les cheveux grisonnants (autant que les poils de votre pubis), de vous imaginer dans les situations les plus incongrues.
Portez vous bien.
Macaron ».

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