Quelque part dans Macaron (octobre 2021)
Et Macaron était dans l'un de ces moments-là. Un soleil d'automne perçait à travers la fenêtre du Coffeeshop Atlas, quelque part au nord d'Amsterdam, et plus précisément sur la rive Nord de l'IJ, dans le quartier du Jeugdland. C'était un coffee de blacks.
Macaron, plus jeune, aurait un peu redouté ce genre d'endroit, les différences font toujours peur... Mais à son âge, et après avoir vu tout ce qu'il avait vu, il pouvait désormais se permettre de laisser traîner ses guêtres et ses frusques mal repassées dans toutes les périphéries de sa ville adorée entre mille. Et puis depuis ce malheureux épisode d'herbe envolée, volatilisée, un soir d'incident de quartier peu de temps avant le Coup de Soleil, il n'avait plus refumé. Il était impatient d'en tâter à nouveau. Oublié pour l'instant son divorce, oubliée la belle Inès, oubliées tous ses amours tragiques du passé, oubliés ses désirs de fols avenirs, il parvenait enfin à se tourner un peu vers le présent, tout simplement. C'était la première fois qu'il revenait à Amsterdam depuis le Coup de Soleil.
Ses cheveux s'étaient aussi beaucoup allongés depuis le tout récent décret, passé juste le lendemain du Coup de Soleil, élargissant la liste des appareils ménagers relevant de la réglementation dite "simplificatrice de la vie quotidienne" du 22 janvier 2027 et relative aux économies et restrictions liées à l'énergie.
Par ce décret, les fers à repasser, les sèche-linges, les rasoirs électriques, les tondeuses électriques de coiffeurs, les taille-haies (électriques ou à essence), les jeux de flippers électriques, les pompes des systèmes de distribution et de filtrage de l'eau des piscines privées (électriques ou à essence), les motocyclettes et véhicules deux-roues de toute nature, les lampadaires non conformes aux nouvelles lois de respect de la nuit non polluée, et des centaines d'autres accessoires de confort énergivores devenus au fil du temps indispensables alors qu'il n'en était rien, avaient rejoint au plus profond des oubliettes les piscines chauffées en extérieur, les objets dits "en plastique" (ou tout matériau dérivé de la chimie du carbone sauf pour certaines normes de sécurité ou de solidité particulière), les guirlandes extérieures de maisons individuelles et autres enseignes lumineuses nocturnes de toutes sortes, commerciales ou privées... Il n'y avait pas de couvre-feu, mais tout citoyen qui se promènerait la nuit, à bicyclette ou à pieds ou à cheval à la rigueur, se devrait de porter un gilet et un casque phosphorescents.
Par la même occasion (ce qui avait fait passer la pilule auprès des classes populaires) on réduisait le temps de travail à 28 heures par semaine en imposant cette fois que les heures perdues par l'entreprise ou l'établissement public soient intégralement compensées par des embauches complémentaires. Et on avait fait passer la pilule des 28 heures auprès des patrons et des directeurs en exonérant la majeure partie des outils de leurs entreprises de la loi dite "simplificatrice de la vie quotidienne". Ceux-ci étaient à peu près conformes aux normes environnementales depuis une trentaine d'années à présent. Certaines machines étaient énergivores bien sûr, les ordinateurs et les data-centers en premier chef, évidemment, mais rien de tout cela n'était interdit; leur détention était soumise à des taxes locales qui pouvaient être proportionnelles, selon le principe du pollueur-payeur. Et cette pilule-là avait été administrée depuis belle lurette sous forme d'un suppositoire dans les années 2000, dont les effets commençaient enfin à se réveiller par la multiplication soudain effarante et le durcissement des gouvernements verts de la planète à la suite du modèle français.
Après tout, ce n'était qu'affaire de mode, une mode que les dirigeants
européens de l'époque surent lire et anticiper; et tout, du cinéma aux
architectes, en passant par les stylistes visagistes et les grands
couturiers, bascula dans une sorte de sauvagerie passéiste où le style
était très babacool (cheveux plus longs et vêtements plus amples,
plissés, faits de tissus naturels issus d'une agriculture biologique
respectueuse de l'environnement). Et les gens se parlaient aussi. Des
gens qui ne se parlaient pas avant.
Alors c'est sur une table de bois, écoutant cependant à un volume assez puissant quelque reggae contemporain de belle nature, que Macaron, solitaire, son joint et son café épuisés et son poème achevé, tapait des deux mains.
Tous, que ce soit l'audio professionnel, la diffusion du son, ou l'industrie des enregistrements et du spectacle vivant de la scène musicale internationale, étaient exemptés de taxes écologiques. Mais les normes techniques s'étaient beaucoup durcies pour faire évoluer les outils (tables de mixages, enceintes, amplis, effets...) vers un usage plus important de la fibre optique et des opérateurs à Q-bits et les nouvelles unités de stockage sur ADN qui commençaient à peine d'être commercialisés, nettement moins énergivores que les composants électroniques à semi-conducteurs d'autrefois.
Macaron tapait des deux mains sur une table de hêtre, et, tout comme une fois que l'on sait conduire une bicyclette, on le sait pour le reste de sa vie, ses cours de batterie suivis à l'adolescence lui servaient à présent à montrer trente-cinq ans plus tard, en territoire de spécialistes du genre, qu'il était à ses heures un percussionniste tout à fait acceptable. Main gauche, main droite, tap, tap, taptap. Et la musique avançait, variait, accélérait, ralentissait au fil des morceaux d'une playlist qui semblait infinie, et Macaron tapait toujours à s'en faire mal aux paumes. Les deux ou trois gugusses blacks qui traînaient dans le coffee à l'heure du déjeuner appréciaient et fumaient de plus belle, oubliant pour l'instant de manger.
Tadaptap, tap taptaptap tadapt... Et encore et encore et encore, morceau après morceau, bouffée après bouffée, rasade de double-croches après rasade de double-croches.
Le ton de la musique se durcit quelque peu, alors Macaron, fatigué, qui battait bien depuis une bonne heure et demie, commença en revanche de mettre la pédale douce. Il en était sur une pente descendante, tapant moins fort, tentant des combinaisons rythmiques plus subtiles, mais encore parfaitement audibles, rigoureuses et claires, quand l'un des compères, Rutger, se mit à chanter des paroles anglaises à propos d'un cul terreux de blanc qui venait jouer du tambour aux portes de l'Atlas, et d'un gros cul de black qui l'accueillait avec un chant.
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