Le pays d'Amélie

 

 Les « pensées  magiques » ont fait l’objet, il y a peu, d’une émission passionnante sur France Culture.

Il y était raconté que tel supporter de football particulièrement fervent avait relaté que, sa vessie trop remplie de bière, il avait filé aux toilettes lors de la 2^e mi-temps d’un match très important pour la qualification de son club au championnat d’Europe et que, pendant qu’il urinait, l’équipe adverse avait marqué un but fatal, synonyme d’élimination.  Il s’en était toujours voulu à mort, persuadé que l’équipe, privée de ses bonnes ondes habituelles et de la puissance de ses cris d’encouragement, avait perdu par sa faute.  Depuis, il avait arrêté de boire.

La même chose nous est arrivée en famille, c’était le 8 juillet 1982, date fatidique, tandis que se jouait à Séville l’un des évènements sportifs les plus marquants de l’histoire du football : la demi-finale de la coupe du Monde entre l’équipe de France et la Mannschaft allemande.  Nous avons perdu aux tirs au but après un scénario proprement incroyable où les français, menant 3-1, se sont faits remonter au score… par la seule et unique faute de ma mère qui, chaque fois qu’elle entrait dans la pièce où nous regardions le match avec mon père (j’avais 9 ans), provoquait un but des allemands par sa simple présence.  Maman était pourtant fan de football et, d’habitude, regardait toujours les matches avec nous (je me souviens notamment qu’à chaque fois que Thierry ROLAND nommait TIGANA, elle complétait invariablement par « tsoin-tsoin » !).  Mais là, j’ignore pourquoi, elle vaquait à quelque autre occupation au début du match ; elle ne venait voir que ponctuellement ce qui se passait.  Sauf qu’à chaque fois, sa présence avait pour conséquence inévitable de provoquer un but allemand, si bien que nous avons fini par la virer de la pièce, purement et simplement (réflexe de survie d’autant plus idiot que ça n’a pas aidé Maxime BOSSIS à marquer son péno, ni Horst HRUBESCH à rater le sien). 

Aujourd’hui, la pensée magique est partout, tout le temps.

Biodynamie.  Influence de la Lune sur la santé des cheveux ou du potager.  Hydroxychloroquine.  Présence de Saturne en la Balance ou de Jupiter en Scorpion.  Réclamer des bonnes ondes pour un boulot hyper-cool que l’on brigue.  Croire que l’inéluctable catastrophe des +3,5° en 2100 se résoudra par l’opération du Saint-Esprit et que l’on peut continuer à polluer sans vergogne et jouir de tout jusqu’à plus savoir qu’en foutre… de son foutre.

Moi j’ai décidé de punir, modestement, à mon niveau.  Je fais mon Amélie POULAIN.  Tous ces connards d’automobilistes qui se sont garés au plus près de la plage de la pointe d’Agon alors qu’il y a partout des panneaux d’interdiction de stationner bien en évidence, parce qu’il faut protéger ce littoral fragile.  Tous ces gros beaufs qui n’ont même plus le courage de se garer à 10mn à pied de là, dans un parking prévu à cet effet et où il y a toujours de la place.  Mais non, marcher 10mn, tu penses.  Immatriculations de Paris, de Marseille (de la Manche aussi malheureusement).  De ceux qui « profitent » et qui désobéissent.  Qui n’ont aucun respect et qui demain, à l'automne, se mêleront au cortège des gilets jaunes.  C’est de leur faute si le réchauffement climatique en est là, et pas la mienne.

Pensée magique : une petite punition divine.  Pour tous, une splendide estafilade dans leur carrosserie, tracée bien maladroitement, bras tendu, en passant, avec un galet de granit ramassé juste avant.  Une magnifique rayure indélébile (sauf à refaire toute la portière) juste au-dessus de la poignée de porte de leur SUV hybride de merde, en guise d’avertissement.  Et toc.

Le gars va jurer, pester, se désoler, trouver ça nul.  La fille va penser: « je te l’avais bien dit qu’il y avait des panneaux d’interdiction de stationner, je t’avais mis en garde, mais comme d’habitude, tu n’as voulu en faire qu’à ta tête ; je savais qu’à force de bafouer la loi, on est puni par la Providence!  Si tu faisais un peu plus confiance dans l'instinct féminin! ».

Et moi pendant ce temps là, je me marre.  Pensée magique, quand tu nous tiens.