Quelque part dans Macaron (janvier 2020) - bonne année Inès





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Après cette péripétie riche d'essoufflements, quand enfin, après s'être tant hâté pour vaincre son abyssal et involontaire retard, Macaron rentra dans l'amphithéâtre, par la porte du fond, et qu'il l'aperçut en bas, il vit la même silhouette, exactement, que celle qu'Inès avait dans sa cellule de prison, un an auparavant, lorsqu'il la vit pour la première fois.  Il reprit discrètement son souffle. 

Le
Souffle
Coupé
Du
Couple
Sous
Fées

Debout face à l’auditorium avec le grand tableau blanc dans le dos qui lui faisait un décor de photographe, elle se détachait comme une ombre chinoise dans la lumière de cette fin d'après-midi.  Le soleil orangé tournait à la grenade, et l'ange noir avait les deux bras allongés devant elle, parfaitement symétriques, les paumes des mains posées sur le bureau, les cuisses rebondissant régulièrement dessus, la poitrine enserrée dans une robe de Lune au velouté d'un pyjama marocain, son camée et ses dents éclatant de blancheur tandis que sa voix insolente résonnait dans cette grande salle de conférences vide.

Elle en était à la conclusion du Mythe d'Adam et Eve - et Macaron comprit rapidement que c'était aussi la fin de sa thèse, ce qui l'émut profondément.  Franchement, un jour pareil, se payer un accident de la route !  Macaron-la-loose !

Heugoff était absent, malade d’un cancer depuis peu, mais Ben Moussaïd, lui, était là, ce qui était plutôt une bonne nouvelle pour la thésarde.  Il se concentra sur l'exposé de sa belle.

"Lire et écrire permet la distance avec le Monde.
Lire et écrire permet de se cultiver.
Lire et écrire permet de relativiser.
Lire et écrire permet de construire,
Lire et écrire permet de guérir.

Lire et écrire permet d'aimer.

"Lui" c'est sur le papier,
"Elle" c'est sur les corps.

"Vous" c'est dans la presse universitaire,
"Moi" c'était dans les boîtes à partouzes.

"Les uns", dans le ciel
"Les autres", dans le cul.

Peu importe, c'est une même vision du Monde, c'est là que réside le mythe d'Adam et Eve.  Le masculin et le féminin.  Peu importe lequel des deux genres assume le symbole du fruit défendu.  Peut-être que certaines visions du mythe décrivent Adam et Eve croquant en même temps la pomme.

Ce n'est pas grave.

Il n'y a pas de péché originel en réalité.

Il y a un jeu, celui de la connaissance du Bien et du Mal.

Chaque être humain se doit d'être un terroriste de l'amour.  Chacun à sa manière.  Un pieux chauffeur de taxi marocain qui vous frotte le dos avec du savon et vous asperge de baquets d'eau bouillante dans un hammam est un terroriste de l'amour.  Un frère qui vous donne la triple et fraternelle accolade en est un autre.  La soupe ancestrale d'une vieille mère de famille contribuant à l'amitié entre les peuples, aussi.

Mais un couple d'amants pratique ce jeu de la plus belle manière: il fait envie, il envoie des "frotons", il irradie le don et le besoin d'amour.  C'est la bombe atomique du jeu du bien.
Toutes ces bulles d'amour que le couple souffle dans l'air sans s'en apercevoir sèment le germe d'autres histoires et les frotons se répandent.

En revanche, quand la femme (ou l'homme, ou les deux) croque le fruit défendu de la trahison, cela tourne au jeu du mal, qui est un jeu tout aussi passionnant mais beaucoup plus subtil, parce que les enjeux ne sont plus de même nature. Il y a péril de mort.  La Lune, alors, tourne le dos au Soleil (elle est à son premier quartier).  Eros et Thanatos s'affrontent.  Le damier du sol est noir et blanc, la connaissance du bien et du mal se loge entre les interstices.  Il y a des anti-frotons: la mécanique quantique a parfaitement sa place dans le jeu des symétries et des dualités.  Néant-Univers.  Particule-Antiparticule.  Onde-Corpuscule.  Interaction - Echange de bosons de jauge. La relativité générale aussi exprime la dualité.  Matière-Energie.  Contenant-Contenu. Espace-Temps.

Alors l'amour est-il contingent ou émergent?  C'était ma question de départ.

Si l'amour n'est que réduction à la fusion des corps, et à l'attirance que deux êtres se donnent, alors non, elle est probablement juste une simple force newtonienne contingente.
S’il est une autre façon d'exprimer la dualité, alors il se peut que l'Amour transcende les équations qui en sont nées - n'oublions pas que le premier langage machine est un langage binaire.

Mais si cette dernière solution était la vraie, je serais déçue parce que cela n'était pas mon propos de départ."

Elle sourit.  Macaron aussi.  Il songea: "alors il n'y a qu'à dire que, peut-être, les deux solutions cohabitent?".  Et c'est ce que dit Inès à voix haute, à vingt mètres de là.

"Je vous remercie pour votre attention et je suis prête à répondre aux questions."

[...]

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