Quelque part dans Macaron: l'Astre du Jour, et Radio Lesdeuxmenteurs #janvier2020
Frères et Sœurs du Soleil.
Macaron maîtrisait totalement ce sujet. Il en avait fait le récit à Inès,
autrefois. En pleine époque de séduction,
juste avant qu’il parte en vacances et laisse croupir Inès dans sa prison pour
l’été. Il s’était lancé dans une logorrhée verbale, déclamée avec talent et précision, comme un conteur, et
comme Inès, on le sait, était subjuguée par sa voix, il lui en avait donné de très
fortes doses, ce qui la comblait d’aise, même si elle n’était pas toujours
pleinement concentrée et convaincue par ces impressionnants développements
scientifiques. Peu importe. Le grain de la voix de Macaron résonnait
agréablement dans sa tête, jouant d’une musique aussi bien faite de photons que de
frotons:
" 1915, quelque part en Europe.
Albert Einstein s'en va faire du vélo, au printemps, pour aérer sa
pensée. Il se sent bien partout où ses pas et ses pédales le
mènent. Son esprit est ailleurs, il s'évade vers les hauteurs de
l'Univers aux insondables mystères, il galope en une sorte de rêverie poétique
qui interroge la gravitation, la matière, l'espace et le temps... Le
génial physicien n'a pas pu appréhender ces concepts quand il était enfant
parce que son développement langagier a été très long, bien plus lent que la
moyenne des enfants de son âge. Ne sachant ni lire ni écrire, et à peine
épeler, Einstein pense, en sciences physiques, un peu comme un bébé découvrant
le Monde: une infinité d'images abstraites se bousculaient dans sa petite tête
d'enfant de quatre ans, et il se réfugiait dans un imaginaire mutique mais
multicolore, puisqu'il ne savait pas encore bien communiquer.
-
Et alors, à quoi songe-t-il en 1915 ? » est le genre de
question que posait Inès de temps à autre, pour tenter de ne pas perdre le
fil. Macaron reprenait :
« - Einstein, déjà père de théories révolutionnaires qui
bouleverseront la science du XXe siècle, rencontre encore et toujours un
problème avec la gravitation selon Newton. Elle viole le principe de la
relativité restreinte, à savoir que la lumière est ce qui voyage le plus vite
dans l'Univers, et à une vitesse finie d'environ 300 000 km/s. Il ne peut
pas y avoir d'instantanéité dans l'Univers selon Einstein. Et il s'accroche
à son raisonnement jusqu’au bout: la gravitation ne peut pas donner, à
distance, instantanément, l'ordre à une comète, une planète, une étoile, ou une
galaxie, de se mettre en mouvement vers un autre astre. Cet ordre ne pourrait
être émis qu'à la vitesse de la lumière et c'est impossible parce que chacun
sait que la gravitation semble avoir une portée infinie d'après les équations
de Newton, il suffit que les deux objets qui s'attirent mutuellement aient une
masse.
Alors il s'imagine, dans un ascenseur treuillé par une gigantesque
grue et qui l'accélère tout droit dans une direction prise au hasard, à travers
l'espace aux allures de 9,31 m/s*s, il imagine que la lumière, rentrant par un
trou, mettrait un petit temps à franchir la distance qui sépare le trou de la
paroi d'en face. Il en déduit que la lumière va frapper un point de la
paroi d'en-face, plus bas que le trou par où elle est rentrée.
Donc elle a suivi une trajectoire légèrement incurvée.
Or, de même qu’il imagine l'ascenseur hissé par un treuil à une
certaine accélération égale à la force de gravitation, il se dit que
l'expérience serait strictement identique dans un ascenseur immobile, posé sur
Terre et soumis à la gravité terrestre, parce que ces deux situations sont
totalement équivalentes du point de vue de ce qui se passe à l’intérieur de
l’ascenseur. Dans les deux cas, on garde
les pieds au sol.
Donc un champ de gravitation peut courber la trajectoire de la
lumière. Il peut courber aussi la
trajectoire de n'importe quel objet de masse qui le traverse. Et l'espace-temps se déforme lui-même quand
l'objet s'y déplace. »
Macaron s’était aperçu soudain que sa jeune thésarde avait décroché. Il s’en était amusé intérieurement, avait
retissé le fil de ses pensées, et voulut abréger :
« Je n'irai pas plus loin dans les développements de la
théorie, mais toujours est-il que la conséquence de cette expérience de pensée
permet, 30 ans plus tard avec l'Abbé Lemaître, de calculer grâce à des
équations d'Einstein revues et corrigées par le maître en personne, l'âge de
l'Univers: environ quinze milliards d'années.
Puis, après avoir affiné les termes des équations, les astrophysiciens
du XXe siècle parviendront à estimer l'âge du Big-Bang c'est à dire la
naissance de notre Univers, à 13,6 milliards d'années. »
Il voulut recentrer l’écoute de sa belle interlocutrice sur ce
moment crucial de son exposé.
« C’est là que toute votre concentration est requise, chère
Inès. Ecoutez-moi bien.
Big Bang, donc énergie, donc forces, donc matière, donc hydrogène,
donc accumulation d'hydrogène, donc accrétion d'étoiles de première génération
qui vont vivre très peu de temps parce qu'elles sont très grosses et bleues, et
boum elles consomment très très vite leurs réserves et en quelques millions
d'années, boum, elles forment des trous noirs, des étoiles à neutrons, des
supernovae qui ensemencent le ciel avec de nombreux éléments transformés par
l'étoile: l'hélium d'abord, puis le lithium, le berylium, le bore, le carbone,
l'azote, l'oxygène et enfin le fer. Quand les réserves d'hydrogène sont
épuisées, le fer s'accumule dans le noyau, et boum.
Viennent ensuite les étoiles de seconde génération, celles qui se
sont formées à partir de toutes ces éjections de matières plus ou moins
exotiques et nouvelles. Celles-ci vont vivre plus longtemps, quelques
milliards d'années, et se regrouper dans des amas globulaires, des filaments de
matière, et des galaxies, enfin, dont la nôtre, quelque part dans un amas
naissant, l'amas de la Vierge, lui même convergeant déjà vers Laniakea, le
grand attracteur, continent intergalactique où tout se regroupe dans notre coin
d'espace-temps. Certaines de ces étoiles
de seconde génération, elles aussi très massives, ont déjà explosé il y a 6 ou
7 milliards d'années, en éjectant davantage de matière encore, celle-ci se
mélangeant avec l'hydrogène primordial rassemblé là par la matière noire…
La Voie Lactée était une "galaxie starburst" à l'époque:
elle fabriquait de l'étoile en un tournemain, dans de vives et spectaculaires
pétarades permanentes. Et c'est ainsi
que les étoiles de troisième génération naquirent, dont, parmi des milliards d'autres,
les plus courantes, notre soleil, quelque part dans une banlieue tranquille de
la Galaxie, à l'abri des grosses catastrophes.
Son système se forma donc il y a environ 5 milliards d'années,
issu de l'agglomération d'une poche importante de gaz, probablement au milieu
de quelques grandes ou petites sœurs, toutes fringantes dans leurs globules de
Bok, bébés prometteurs de 3e génération, étoiles de classe K ou G, à la belle
lumière jaune d'or ou jaune pâle, et d'une longévité exceptionnelle, parce que
moins massives. Chacune a suivi son
chemin. Leur espérance de vie est d’une
petite quinzaine de milliards d'années, et nous en sommes donc au tiers de
l'aventure. Malheureusement, au deuxième tiers, notre étoile aura terminé
sa combustion d'hydrogène. Deux cent mille tonnes à la seconde, c'est ce
qu'elle consomme pourtant.
Mais il lui faudra environ 5 milliards d'années pour épuiser ce
stock. Alors elle va commencer à s'éteindre, elle va se ratatiner un peu
sur elle-même, puis s'apercevoir qu'elle a encore un stock d'éléments plus
lourds, à commencer par l'hélium, à consommer, pourvu d'augmenter sa
température. Alors elle va dévorer cette seconde réserve et se mettre à
gonfler sous la pression de rayonnement. Et engloutir la Terre, tôt ou
tard. Le Soleil finira par alterner
entre de petites phases de ratatinement, de dépression, à chaque fois qu'il
aura entièrement consumé une réserve nouvelle, puis à une phase d'inflation
tranquille baignée de lumière orange, d'abord, puis rouge, au fur et à mesure
qu'il en épuisera d'autres. Notre étoile finira par ressembler à
Bételgeuse, vieille géante rouge qui déglutit régulièrement ses derniers
relents de matière dans des flux gastriques perceptibles même à l’œil nu, pour
l'amateur avisé. Et puis ce sera la fin,
mais pas en supernova parce que notre Soleil n'est pas assez lourd pour
ça. Il se ratatinera en naine blanche, cette fois définitivement, et
finira par s'éteindre… »
Un ange, alors, était passé dans la cellule. C’est Macaron qui rompit le silence et voulut
un peu dédramatiser, parce qu’Inès semblait en état de choc au point où il
songeait qu’il avait dû l’assommer avec toutes ces explications :
« C’est là que vous êtes censée me dire ironiquement que vous
n’avez rien compris !
-
J’ai compris que c’était effrayant, de multiples façons »,
répliqua Inès après quelques temps de silence.
« Vous me parlez de naissance de l’Univers, d’être bloquée
avec vous et ce bon vieil Albert dans un ascenseur, de bébés étoiles dans des
globules de Bok…. Vous me dites que
notre espèce – qu’elle crève - a encore 5 milliards d’années à vivre dans sa
fange habituelle, de plus en plus dépassée par les évènements, bien. Que le Soleil va finir en vieille mamie qui
pète et qui finira par bouffer notre monde, OK.
Et vous trouvez que ce récit pousse à l’optimisme ? »
Macaron s’était enthousiasmé et avait repris sa logorrhée
astrophysique de plus belle.
« - Précisément !
Et à votre avis, pourquoi ce récit peut-il être si effrayant pour
l'espèce humaine? Parce que le Soleil
est source de vie et d'énergie pour les humains; une énergie inépuisable,
contrôlable, mais dangereuse parfois. N'oublions
pas, quand nous avons la chance de contempler une aurore boréale, que celle-ci
se produit par l'accumulation de filaments ionisés qui se combinent en
des draperies spectaculaires. Nous
contemplons l'image vivante du vent de particules solaires radioactives et donc
létales, fort heureusement capturées par notre bouclier magnétique. »
« - Si le Soleil est source de vie, pourquoi bâtir des
cellules de prison aussi peu illuminées ? "
Elle avait soupiré et posé, comme souvent, sa tête sur le rebord de la
petite lucarne, griffée de barreaux d’acier, qui lui servait de fenêtre.
« Oui - reprit-il emporté dans son raisonnement, sans même
relever l’ironie dont la jeune femme brune avait fait preuve - le Soleil est
source de vie et contempler une éclipse peut nous le rappeler lourdement !
Songeons trente secondes à cet album de Tintin: lui, le capitaine Haddock et le
professeur Tournesol sont condamnés à mort par l'Inca qui gouverne le Temple du
Soleil, mais, grâce à la bonté dont ils ont fait preuve au cours de leurs
aventures, nos héros peuvent choisir le jour et l'heure de leur mort.
Tintin, qui en bon journaliste a relu quelques feuilles d'un journal chiffonné
qui servait à emballer les cartouches, décide de choisir le moment d'une
éclipse de Soleil annoncée fort à propos dans la presse locale.
Songeons à la panique qui submerge les Incas quand la face du Dieu
Inti, fils du Viracocha invoqué par Tintin, est brusquement voilée par un
croissant d’ombre qui grandit d’instant en instant ! Panique ? Les incas sont des idiots. Ils ne
feraient donc pas le rapprochement avec un passage de la Lune, Mama Kylia,
devant l'Astre du jour? Comme si les
Incas, fins astronomes, ne savaient pas depuis belle lurette prédire les
éclipses d'une façon remarquable?!
Quel mépris colonialiste pour ces peuples sud-américains...
D'aucuns pourraient penser que cet incroyable contresens
scientifique et historique dont Hergé fait preuve, est juste la marque d'une
forme de racisme, du caractère hautain du rationaliste occidental qui se pense
supérieur à toute autre civilisation. Certes... »
Macaron était toutefois persuadé qu'Hergé a agi en toute
connaissance de cause, parce qu'il cherchait à exprimer, en termes de récit
d'aventures, le fait que Tintin commande au Soleil.
« Cela fait de lui une figure mythologique, quelque part à
mi-chemin entre Icare et Esteban, entre Appolon et un pharaon (qui chez les
égyptiens est frère d'Horus, un authentique fils de Képhri-Rê-Atoum)...
-
Mais, objecta Inès, le symbole, le symbole de ces Incas qui
s'éparpillent en hurlant de panique au cours de l'éclipse totale? »
« C'est le symbole de l'Humanité toute entière, qui
ploie le genou devant son Dieu-Soleil. Le
soleil est une divinité majeure dans tous les systèmes religieux et spirituels
du Monde. »
[...]
UNKLE: In a Sunrise, c'est ici: https://youtu.be/LxXafrL8uFM
BOB MARLEY: Sun is Shining, c'est là: https://youtu.be/hsjIkWXsZLQ
BOB MARLEY: Sun is Shining, c'est là: https://youtu.be/hsjIkWXsZLQ
RRÂÂÂÂ!!!!!!...............;
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