Toujours rien

 

Allez, tu t’en fous.  Il faut se forcer à écrire, même de la merde noire.  Foutu pour foutu, essaie d’écrire.  Je sais, c’est douloureux, quand on a connu les grandes heures de l’inspiration la plus belle, quand on a connu une époque où l’on apportait un tout petit peu de beauté en ce monde, c’est douloureux de tremper sa plume dans une absence d’encre.  Mais tant pis, on s’en fout.  De toute façon, plus personne ne lit ce blog, et c’est très bien comme ça.  Un être humain normalement constitué (surtout à l’époque actuelle), ne donne pas à contempler ce qu’il a de plus noir.  Ce blog s’est vidé de toute substance.  Il n’a plus rien d’artistique, c’est devenu une bien sombre introspection.  Pour faire de l’art, il faut un minimum de substance et d’espoir.  J’ai perdu et l’un, et l’autre. 

Pour faire de l’art, il faut de la lumière.  On n’en fait pas dans le néant… 

Mais je suis le néant, et le néant, c’est moi.

Ce reportage, sur LCP, métier : photographe en temps de pandémie.  J’admire ces gens.  Tous célèbrent la beauté des petits gestes humains du quotidien, les applaudissements aux balcons, les attitudes de réconfort à l’hôpital, les sourires des voisins aperçus derrière une vitre.  Tous expriment la terreur imposée par un virus invisible, la dureté du confinement, l’ambiance angoissante de fin du monde.  Tous expriment la lutte contre la solitude et la mort, c’est du moins le « storytelling » du reportage.  Ah, tous ces merveilleux artistes, qui ont su capter les douleurs et les combats du temps, pour survivre, tout en nous donnant à voir.

Et pendant ce temps, bordel de merde, pendant ce temps, après un bref moment d’adrénaline, qu’ai-je pensé ?  Ai-je été terrifié ?  Non.  Ai-je été empathique pour toutes ces victimes ?  Non.  Ai-je applaudi les infirmiers et les aides-soignants ?  Non.  Ai-je été foutu de pondre une ligne qui soit belle ?  Non.  Moi, le confinement m’allait comme un gant.  L’isolement m’allait comme un gant.  L’interruption brutale de cette société fut vécue comme une bénédiction !

On dit que les crises et les épreuves révèlent le caractère des hommes…

Moi, j’ai juste prié pour que la mortalité soit la plus importante possible.  J’ai espéré en secret que crèvent un maximum de mes semblables.  Dans l’intimité la plus profonde de mon être, j’ai souhaité la quasi-disparition de cette espèce oppressante et qui me rabaisse sans cesse, collègues, amis, parents, épouse…  L’autre est meilleur, plus intelligent, plus attentif, plus compétent, plus beau, plus rapide, plus doué, plus jeune, plus chanceux, plus loquace, plus perspicace, plus amène, plus détaché, plus heureux que moi.  L’autre est un ennemi.  J’en suis jaloux.  Il n’a pas d’addiction.  Il a une plus grosse bite, un plus gros compte en banque, une plus belle voix, une plus belle plume, une meilleure résilience, une meilleure répartie, une meilleure confiance en lui.  L’autre a encore droit à l’amour.  A côté de l’autre, je ne suis qu’une merde.

Je devrais quitter la franc-maçonnerie, je fais honte à mon ordre (« ils feront aimer notre ordre par l’exemple de leur qualités », quelle blague, en ce qui me concerne !).

J’essaie d’y travailler, pourtant !  De me persuader qu’il n’y a de salut que dans le contact avec les autres, qu’il n’y a de joie que partagée…  Mais je me sens mal dans l’humanité, je m’y sens de plus en plus mal.  Je n’ai plus rien à dire à mes semblables, même à mes proches, c’est de plus en plus dur.  Dire quoi, sinon des noirceurs tout le temps ?  Faire part de mes angoisses ?  Exprimer des trucs qui leur font peur ?  Alors autant se taire.

Je ne vois plus que le mal que fait l’humanité.  Je ne vois plus qu’à l’horizon 2100, quand tout aura cramé, et un avenir noir pour mes enfants (qui sont les seuls derniers êtres humains que j’adore véritablement, la dernière barre de vie entre mon Yoshimitsu et la mort).

Je ne vois plus que les cendres des forêts qui brûlent.

Je ne vois plus, en rêve, que le noir crasseux du canon d’un pistolet que je tournerais contre ma tempe.

Mais, tellement noir, tellement lâche, je n’aurais jamais le cran de me suicider (car il en faut du courage, mine de rien, pour mettre fin à ses jours).

Alors, pour cette noirceur haïssable, je me condamne à quoi ?  A rien.

A RIEN.

Commentaires